Une
voiture, lancée sur une piste goudronnée. Il est 18h00 et le soleil descend
rapidement dans le ciel. La voiture, un pick-up gris, a quitté la route
principale il y a un peu plus de 5 minutes maintenant, et elle se retrouve à
arpenter un paysage accidenté. Juste à la sortie de la route principale elle a
traversé un village. Le petit village de Mae Usu.
Le
soir tombe sur la jungle encore verte, bénéficiant des ressources accumulées
pendant la saison des pluies finie depuis peu. Les virages s’enchaînent.
Quelques maisons se distinguent dans le paysage, trahies par une fumée
annonçant un repas proche.
« Une
fois que nous aurons quitté la route, avait dit le père Nicolas, il nous
restera 10 minutes avant d’atteindre Ponouaypou ». Dix minutes. Mon
souffle ralenti, les battements de mon cœur s’accélèrent. A l’extérieur c’est
un calme apparent. A l’intérieur c’est une tempête d’émotions. Chaque virage
semble être le dernier. Je prie pour qu’il y en ait encore un. La route
descendant donne cette impression que l’on s’enfonce toujours plus profondément
dans la jungle. Il n’y a rien, plus rien maintenant. Chaque recoin est nouveau.
Chaque arbre, fleur, fougère m’est inconnu. La piste goudronnée disparaît de
temps à autre pour laisser la place à une piste de terre. Il n’y a rien si ce n'est une flore abondante. Puis à
la sortie d’un virage, il apparaît, sur une petite colline, Ponouaypou. Les
rizières fraîchement coupées lui lèchent les pieds, et permettent de l’élever
un peu plus qu’il ne l’est. Un petit pont, enjambant la rivière nous fait
entrer symboliquement dans le village. Les villageois se retournent au passage
de la voiture. Le père les salue. Je reste timide au fond de mon siège. Il faut
encore sortir du village. Descendre de nouveau au niveau de la rivière puis
attaquer, une fois le pont traversé, une dernière côte pour arriver au centre.
Trois
jeunes accompagnent un professeur pour nous accueillir et prendre mes affaires.
Tout commence.
Tout
était à découvrir. Tout semblait à faire. Il me suffisait de me mettre dans les
pas de mes prédécesseurs et de préparer ceux de mes successeurs. Mon sac, une
fois vidé, ne devait se remplir de nouveau, que 6 mois et demi plus tard.
Il
est 15H30. Les épais nuages de la mousson se sont déjà rassemblés dans le ciel.
Nous sommes le 13 juin 2012. En bas des marches du centre, je regarde ces 6
mois et demi. Ces visages, ces lieux, cette nature. Tout ce qui m’était
inconnu. La voiture emprunte le chemin inverse. Et comme si je découvrais pour la
première fois chaque virage, je les inscris au plus profond de ma mémoire comme
un bien précieux. Nous traversons le
village, une dernière fois. J’essaye d’imprimer en moi chaque maison, chaque
détail, chaque visage. Le pont est traversé, et les rizières sont derrière
nous. Le paysage accidenté a bien changé. Beaucoup plus vert il bénéficie des
premières pluies qui annoncent la mousson.
La traversée du village est trop courte, le retour à la route principale
est trop court, et le retour à la gare routière est trop court. Ne rien
oublier, ne rien oublier.
Les
images défilent dans ma tête. Les visages, les événements, ceux marquant, comme
ceux en apparence insignifiants de tous les jours. Les centaines de bracelets
accrochés autour de mes poignets lors de la soirée d’au revoir de la veille,
témoignent du bonheur partagé de ces 6 mois et demi. Chacune des personnes du
centre, du petit internat voisin et de mes amis du village m’a remis, en signe
de bénédiction, un bracelet de coton, à chaque main, voulant ainsi bénir mon
retour, ma famille, ma vie et ma future épouse, etc.
Les
derniers sourires, et les enfants venus m’accompagner remontent dans le
pick-up. De loin les plus beaux des sourires. Un signe de la main de Hpada, et
la voiture disparait.
Je ne
laisse rien derrière moi. La vie continue au centre, où d’autres volontaires
découvrent et quittent Ponouyapou régulièrement. Mais cependant il y a
dorénavant une attache plus grande que celle mise en place par un simple
passage. Et même un an après il y a bien plus qu’une familiarité, c’est une
Amitié qui s’est établie avec ces montagnes, ces villages, ces personnes, ces
enfants et cette culture. Une Amitié et une unité que je peux retrouver chaque
fois que je récite un Avé, un Pater.
Ce 13
juin 2012, sur la route, j’ai obtenu la réponse à mon « Pourquoi ? » de la première nuit passée à Ponouaypou.